Trois semaines apres, il nous livre ses impressions sur son sejour.
Au mois d’avril, avant de partir en vacances, plusieurs personnes m’ont demandé où j’allais passer celles-ci. Lorsque je répondais « en Moldavie », ces mêmes gens prenaient un air détaché et me disait « ah ouais, c’est super ». Mais je lisais dans leurs yeux qu’ils ne savaient absolument pas où se situait ce pays, ni même à quoi cela pouvait ressembler. A vrai dire, je ne pouvais pas vraiment me moquer d’eux, car moi-même je ne savais pas bien à quoi m’attendre.
Mon séjour en Moldavie, qui ne dura qu’une semaine, fut avant tout la découverte de la vie de mon frère, de son entourage et de son paysage pour l’année 2010-2011. Ce fut la rencontre avec ses amis, très plaisante, et avec une atmosphère, très dépaysante.
Depuis que je suis rentré, un qualificatif me revient souvent lorsque j’évoque ce pays : « poussiéreux ». Je sais que cet adjectif ne semble pas très flatteur, mais pourtant il contient une grande partie de mes impressions durant ce court séjour.
Poussiéreux parce que j’ai rarement autant toussé qu’en Moldavie. La vétusté de l’appartement proposé par Advit aux volontaires y est sans doute pour beaucoup, le renoncement assumé (et légitime) de ses occupants à y faire un ménage poussé aussi. Mais la poussière est dans les rues également. Parce que beaucoup de trottoirs ne sont pas terminés à Chisinau, et qu’on y marche presque autant sur la terre battue que sur l’asphalte. Idem hors de la ville. La route qui mène à Horodisté cesse subitement d’être goudronnée, ce qui laisse imaginer que le chef des travaux de voirie du programme de construction de l’Etat s’était adressé aux ouvriers de la façon suivante : « Bon les gars, on a huit millions de Lei pour faire cette route ! L’objectif, c’est d’aller le plus loin possible. Quand vous n’avez plus de macadam, vous rentrez à Chisinau et on reprendra la construction plus tard. OK ? ». Du coup, au moment où la route goudronnée s’arrête et se transforme en un chemin de cailloux, quelqu’un se lève dans le minibus pour fermer le toit ouvrant afin que la poussière blanche soulevée par les roues du véhicule ne rentre pas à l’intérieur. Mais elle rentre quand même, et on a la gorge sèche quand on arrive à Horodisté. Et là encore, on marche dans la poussière, parce que cette fois, personne n’a même envisagé de goudronner quoique ce soit dans le village. Une fois arrivé, les murs des maisons sont recouverts de tapis pour lutter contre le froid, et point d’aspirateur à l’horizon. La preuve ? Lors de notre week-end là-bas, j’ai entendu dans les jardins le bruit sec des tapis qu’on bat d’un bras vigoureux pour en extraire la poussière.
Mais la Moldavie est aussi un pays poussiéreux au sens figuré du terme. A Chisinau, les immeubles ressemblent à des objets posés sur une étagère depuis des lustres et autour desquels la poussière s’est accumulée. Arriver dans ce pays donne l’impression d’entrer dans le grenier d’une vieille maison qui n’a pas été ouvert depuis la fin des années 80, un lieu qui regorge de trésors et d’inutiles vieilleries. Le genre de pièce que le jeune couple qui vient d’acheter la maison va vouloir vider à la hâte pour refaire l’isolation et mettre de nouveaux meubles clinquants de chez Ikea.
Etant étudiant, je suis allé passer deux semaines dans la campagne bulgare avec une association qui organisait des chantiers de jeunesse. La mission qui était confiée à notre groupe consistait à « rénover un orphelinat ». Planté au fin fond d’un paysage déshérité (ressemblant fortement à celui des alentours d’Horodisté), l’orphelinat en question était un bloc de béton découpé en pièces cubiques aux murs gris et nus. A l’intérieur, il n’y avait pas d’autres meubles que de vieux lits en métal dans les chambres, et une table en formica entourée de chaises en bois dans la pièce commune servant à la fois de salle à manger, de salle de jeu et de salle pour les devoirs. Bref, ce n’était pas le paradis des enfants. A mon retour de ce chantier de jeunesse, lorsqu’on me demandait ce que j’y avais fait, je répondais : « j’ai repeint des murs sales ». Je ne voyais rien d’autre à dire, car nous n’avions rien fait d’autre. A l’époque, je ne saisissais pas vraiment que cette réponse contenait une grande frustration, car paradoxalement, le séjour que j’avais passé là-bas reste un de mes meilleurs souvenirs de vacances (notamment à cause des gens que j’y ai rencontré, de la générosité des bulgares, et du prix très réduit de leur bière).
Et cette frustration sourde, je l’ai ressentie dans les propos de quelques volontaires que j’ai croisés à Chisinau. Eux aussi avaient l’impression de repeindre des murs sales. Ils avaient le sentiment de faire les choses dans le désordre, ou bien de façon cosmétique alors qu’il faudrait tout ravaler. Et surtout, ils ne comprenaient pas que les Moldaves ne les emploient qu’à cette tâche, alors qu’ils étaient plein d’énergie et d’idées. Mais selon moi, ces volontaires n’ont pas à rougir de ce qu’ils font. Car d’autres qu’eux repeignent des murs sales sans scrupules. Ce sont ceux qui (aussi incroyable que cela puisse paraître) viennent chercher de l'argent en Moldavie. J’ai été ainsi effaré de voir une enseigne « Orange », visée dans un mur à l’entrée d’Horodisté, alors que les rues de ce village ne sont même pas éclairées quand la nuit tombe. Orange propose ainsi des forfaits portable + internet aux habitants d’un pays dont le système de retraite force les vieilles femmes à dégager la neige sur les trottoirs pour quelques lei. Benetton vient vendre des jeans qui coûtent presque la moitié du salaire moyen moldave. BMW vient monnayer des 4X4 à des gens dont on se demande comment ils peuvent gagner honnêtement assez d’argent pour se payer de tels engins, au vu du peu de richesse apparente du pays. Il paraît que c'est ce qu'on appelle "la mondialisation heureuse", celle où tout le monde peut accéder aux biens de consommation et au rêve. Pour ma part, j’ai trouvé que ça consistait à cacher la poussière de la Moldavie sous le tapis de la soi-disante modernisation.
Je sais que ça peut sembler un peu naïf, mais je crois que ce que font les volontaires du SVE en Moldavie est une sorte de lutte contre la modernisation forcée et irraisonnée que subissent la plupart des pays « en voie de développement » dans le monde. Pourtant, l’Union Européenne est une institution qui ne m’inspire pas vraiment confiance. La Moldavie est un marché. La plupart des Moldaves n’ont pas encore Internet, ni d’ordinateur ou de voiture. Ça veut dire qu’on va pouvoir leur en vendre. Tant mieux pour ceux qui pourront se payer tout cela. Tant pis pour les autres. Heureusement, il y a de jeunes têtes brûlées occidentales qui n’ont rien à vendre mais qui ont décidé de venir quand même. Ils ne sont pas toujours très bien reçus apparemment. Ils se demandent même parfois pourquoi on les a fait venir. Mais ils sont là, c’est le principal. Car eux ne sont pas là pour changer le monde.
J’ai adoré passer une semaine en Moldavie, dans ce contexte. D’abord parce que les quelques Moldaves qu’il m’a été donné de croiser étaient des gens chaleureux et accueillants (ça fait cliché, je sais, mais c’est vrai !). Et ensuite parce que, comme je le disais à mon frère, je trouve que les gens qui voyagent beaucoup ont quelque chose de souriant. A Chisinau, les « non-moldaves » que j’ai rencontrés souriaient presque tout le temps. Sans doute que quand on a envie de découvrir le monde ainsi, c’est plutôt parce qu’on lui sourit au départ.
Pour résumer, mon séjour en Moldavie fut poussiéreux et souriant. Rien à ajouter.
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